La tumeur cancéreuse de Kinshasa

La tumeur cancéreuse de Kinshasa

2 mai 2022 Non Par Rédaction

Analyse publié en anglais par Muhemsi Mwakihwelo

Paul Kagame est connu pour ridiculiser souvent les occupants du Palais de la Nation. Malheureusement, ses critiques contiennent une part de vérité. Ce n’est pas parce que Kagame lui-même détient une quelconque supériorité morale. C’est plutôt parce que le peuple congolais lui-même a manifesté sa frustration. Il exprime depuis des années son mécontentement face à l’incompétence de ses dirigeants.

Depuis l’époque de Mobutu Sese Seko, qui a été installé et maintenu au pouvoir grâce à la manipulation des Occidentaux, les dirigeants ont souvent manqué de légitimité démocratique. La présidence et les institutions clés de Kinshasa ont été maintes fois façonnées par des forces extérieures et des élites égoïstes, et non par les aspirations authentiques des masses congolaises.

Rwandan President Paul Kagame(left), Qatari Emir Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani and Congolese President Felix Tshisekedi(right) attend a meeting in Doha..
Photo: AFP / Qatari Ministry of Foreign Affairs

Ce chaos orchestré de l’extérieur a permis d’éliminer les véritables agents de la libération. Au lieu de cela, l’Occident a soutenu des machiavéliques militaires. Il a soutenu des ONG fantômes, des multinationales fantômes, des ethnocrates et des démagogues religieux. Son objectif est de contrecarrer toute dynamique en faveur d’un régime souverain et centré sur le peuple. À l’instar d’un corps qui lutte contre la leucémie, aucune partie de la politique congolaise n’a été épargnée par cette ingérence corrosive. Un leadership dépourvu de mandat populaire ne doit aucune loyauté à ce dernier, mais uniquement à ceux qui garantissent sa survie.

Le résultat est tragiquement prévisible. Les conflits et les souffrances perdurent. Pourtant, une grande partie de l’élite congolaise continue de vivre dans l’opulence. Elle reste détachée des luttes de son peuple. Cela devrait être clair pour tous. Les Congolais, les Africains et tous ceux qui se battent pour la justice dans le monde entier doivent reconnaître que la libération de ces structures parasitaires est tout aussi urgente aujourd’hui. Elle est aussi cruciale qu’elle l’était lors de la lutte contre le colonialisme belge.

Nkrumah avait raison

Dans une mise en scène politique, le président Paul Kagame a vivement critiqué ses homologues de la Communauté de l’Afrique de l’Est lors d’une réunion virtuelle. Il a publiquement nié l’implication du Rwanda dans le conflit en RDC. Il a également nié avoir inspiré le mouvement rebelle M23 et s’être ingéré dans les affaires intérieures de la RDC. Le calcul de Kagame était précis : il ne s’attendait à aucune conséquence grave de la part de ses voisins d’Afrique de l’Est. Les puissances européennes ont commencé à publier des déclarations. Elles ont également proféré des menaces voilées, comme elles en ont l’habitude. Ce n’est qu’alors que Kigali a changé d’attitude et s’est montré plus attentif. Kagame a mobilisé le soutien massif de la population sous la bannière « Kufunga Mukanda » (serrer la ceinture), présentant le Rwanda comme un pays souverain assiégé.

La convocation des présidents Kagame et Tshisekedi au Qatar était révélatrice. Deux chefs d’État africains ont dû justifier leurs positions devant une monarchie étrangère. Cette situation sans précédent montre clairement qui détient réellement le pouvoir dans la région. Quelles que soient les promesses ou les dénonciations qu’ils avaient faites auparavant, elles ont été rendues caduques lorsqu’ils ont cherché à obtenir les faveurs de Doha. Les deux dirigeants entretenaient auparavant des relations cordiales. Pourtant, après leur brouille, ils se sont livrés à une joute publique d’insultes et de piques diplomatiques. Au début de l’année 2025, les événements dans l’est du Congo ont laissé penser que seul Kagame comprenait toute l’étendue des manœuvres géopolitiques. Il était bien conscient de ce qui se passait à la fois au village d’Urugwiro et au Palais de la Nation.

Ce spectacle a mis en évidence le caractère creux de l’expression populaire « des solutions africaines aux problèmes africains ». Dans la tragédie congolaise, trop de dirigeants africains ne font pas partie de la solution, mais du problème. Certains ont été directement impliqués dans l’exploitation illicite des ressources du Congo, le trafic d’armes et les efforts de déstabilisation. Même ceux qui se présentent comme des médiateurs sont souvent entachés de complicité.

Malgré des communiqués grandiloquents, ni la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ni la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) n’ont proposé de solutions significatives. Les rebelles du M23 continuent d’agir en toute impunité. Tshisekedi est de facto persona non grata dans l’est du Congo. Les troupes rwandaises et ougandaises restent sur le sol congolais. Les groupes rebelles tels que les bandits rwandais des FDLR restent armés, actifs et impénitents. Il en va de même pour les Maï-Maï, l’ADF et la LRA, parmi tant d’autres.

En réponse, Tshisekedi s’est pleinement aligné sur les États-Unis, cédant un contrôle considérable dans une tentative désespérée d’assurer la sécurité. Il a d’abord fait appel à la CAE et à la SADC, sans autre résultat qu’une diplomatie symbolique. Aujourd’hui, sous la tutelle des États-Unis, l’État congolais n’a t-il pas encore compromis sa souveraineté.

Pour de nombreux États africains, eux-mêmes affaiblis par la politique néo-bantoustanienne et dépendants du patronage occidental, cet arrangement est acceptable. La perspective de recevoir les miettes des monopoles américains est préférable au risque de s’attirer les foudres de Washington. Derrière la rhétorique panafricaine performative se cache une acceptation opportuniste du contrôle étranger. Alors que les dirigeants prônent la souveraineté, leurs rêves économiques dépendent de leur cotation sur les marchés boursiers de New York, Shanghai ou Londres.

Ce renversement du rêve de Nkrumah est frappant. Malgré la triste 180e place de la RDC dans l’indice de développement humain 2022, la classe dirigeante congolaise reste immobile, comme en hibernation. Le peuple souffre, l’élite profite. L’appel de Nkrumah « Cherchez d’abord le royaume politique, et tout vous sera donné par surcroît » a été dénaturé en « Cherchez d’abord les faveurs américaines, et tout vous sera donné par surcroît ».

Alors, voilà le contexte : les solutions africaines sont du vent.

Le président Museveni a un jour déploré la manière dont l’OTAN avait saboté les efforts africains pour résoudre la crise libyenne de 2011. Il est raisonnable de penser que l’initiative africaine en Libye n’aurait peut-être pas abouti. Cette conclusion n’exonère toutefois pas les fanatiques de l’OTAN. Même si elle a été étouffée dans l’œuf, son succès n’était pas garanti. La crise en RDC révèle l’échec d’une initiative menée par l’Afrique. Ce n’est pas uniquement dû à l’ingérence occidentale. Elle est également due à l’insuffisance politique et à la fragmentation des États africains eux-mêmes. Ces États composent la Commission de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA), une entité qui dépend fortement de l’UE pour son financement. L’UE comprend la majorité des membres de l’OTAN.

L’engagement de l’Afrique est souvent unifié dans la rhétorique, mais profondément fragmenté dans les intérêts matériels. Dans la pratique, nos « alliés » sont ceux que nous dénonçons publiquement. Cette contradiction est parfaitement illustrée par les accords de partenariat économique (APE) entre les États d’Afrique de l’Est et l’Union européenne. Dans ces accords, les coups de poignard dans le dos collectifs ont été masqués par une unité de façade.

Le peuple congolais n’est pas dupe. Il a été témoin de l’échec de nombreuses interventions, telles que les accords de Lusaka (1999), l’accord de Sun City, ou encore les processus de Luanda et de Nairobi. Tous ces accords se sont effondrés sous le poids des ingérences extérieures et du sabotage interne. Le traumatisme causé par les 120 ans de règne du tyran Léopold II ne peut être résolu par des accords vagues. Plus de six millions de personnes sont mortes au cours des trois dernières décennies. Des millions d’autres ont été déplacées. Une diplomatie fictive menée par les impérialistes ne résoudra pas ces problèmes.

Tout se joue sur la base de ce qui se trouve sous, sur et au-dessus du sol congolais.

Au cœur du calvaire du Congo se trouve un calcul brutal : ses immenses richesses naturelles. La RDC détient 10 % des réserves mondiales de cuivre et 70 % des réserves de cobalt et de coltan (tantale). Elle possède également 30 % des réserves mondiales de diamants et de vastes réserves d’or, d’étain, de tungstène et de terres rares. La RDC est un enjeu géopolitique majeur. La valeur estimée de ses ressources dépasse les 24 000 milliards de dollars. À bien des égards, l’avenir de la civilisation humaine dépend du sol congolais.

Cette réalité dicte le comportement des voisins du Congo et des puissances mondiales. Le Kenya et le Rwanda, principaux partenaires africains du Qatar, sont fortement critiqués pour leur implication dans les flux illicites de minerais. Le président Kagame a même admis ces allégations. Il a déclaré que les minerais ne sont pas destinés à Kigali, mais à Tel Aviv, Delhi, Moscou et Dubaï. Et si ces minerais étaient des armes destinées à nuire à Kigali ? Kigali resterait-elle en sécurité ?

L’entrée de la Kenyan Equity Bank, aujourd’hui deuxième banque de la RDC avec 2,5 milliards de dollars d’actifs, a coïncidé de manière suspecte avec le déploiement de l’EACRF en 2022. Le Qatar, proche allié des États-Unis et hôte de l’immense base d’Al Udeid, a des motivations stratégiques qui vont bien au-delà de la paix.

L’accord de paix de Washington du 27 juillet 2025 oblige en effet la RDC à renoncer au contrôle de son destin. Cela en échange d’une paix fragile et superficielle. Sans garanties d’application, l’accord risque de devenir un autre outil d’expansion des entreprises américaines. Il pourrait conduire à une déstabilisation régionale sous le couvert de la « coopération en matière de sécurité ».

Ne pleure pas, Congo

Le peuple congolais a suffisamment souffert. Patrice Lumumba envisageait un avenir où les Africains écrirent leur propre histoire. Cette histoire n’est pas censée être celle de l’angoisse, du pillage et de l’humiliation. Elle doit plutôt être celle de la dignité et de la prospérité. Les ennemis du Congo sont nombreux. Cependant, l’ennemi le plus tenace est le système économique mondial qui réduit le Congo à un appendice riche en ressources.

Cela ne signifie pas que nous ignorons les contradictions internes. La RDC, comme tous les États africains, est stratifiée. Sa classe ouvrière, qui représente la grande majorité, subit de plein fouet toute cette exploitation. Il incombe à cette classe de se mobiliser, de s’organiser et de construire des forces centrées sur le peuple, depuis la base jusqu’au niveau national, afin de remettre en question et, à terme, de reconfigurer le statu quo.

Cela ne sera pas facile. Mais c’est nécessaire. L’alternative est la poursuite de la dégradation. Les organisations populaires doivent tracer une voie claire et révolutionnaire pour l’avenir. Dans cette lutte, le désespoir est une trahison.

Dignité ou servitude

Il est tard, mais pas trop tard. Le peuple congolais – et tous les Africains qui se reconnaissent dans l’agonie du Congo – doit choisir : dignité ou servitude. De Butembo à Maniema, la destruction est flagrante. Les Congolais ne devraient pas continuer à payer ce prix insupportable uniquement pour rendre à l’Amérique sa grandeur.