10 Questions à Laurent Kasindi, l’auteur du livre « Ces vérités qui nous mentent « 

10 Questions à Laurent Kasindi, l’auteur du livre « Ces vérités qui nous mentent « 

21 juillet 2022 Non Par Rédaction

Raia : 1. Peux-tu nous parler de toi?

Laurent Kasindi : Je m’appelle Laurent Kasindi, j’ai quarante trois ans. Je suis Congolais. Je suis arrivé en Belgique il y a trois ans. Donc je suis arrivé en Belgique l’année de mes quarante ans.

J’ai fait toutes mes études essentiellement au Congo, dans la ville de Bukavu, province du Sud Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo. J’ai fais mon école primaire à l’école primaire Kadutu centre. Après, j’ai fait le secondaire au collège Alfajiri, un collège tenu par des jésuites. Après, j’ai étudié le droit à l’université catholique de Bukavu. 

R2 : Quel a été ton parcours professionnel ? 

LK : Sur le plan professionnel, je suis un ancien journaliste radio. Je suis un ancien activiste des droits de l’homme dans le cadre d’organisations locales congolaises. 

Je suis depuis presque quinze ans, un agent d’une organisation internationale transformations de conflits, de construction de la paix qui s’appelle Search For Common Ground. Au sein de cette organisation j’ai gravi quelques échelons, donc j’ai été  journaliste-producteur au niveau terrain. Après, j’étais chef de projet, j’étais chef de bureau à Uvira. Après, j’étais à Kinshasa pendant quatre ans comme directeur des programmes et à ce titre là, j’ai eu la possibilité d’interagir avec les autorités nationales, que ce soit de l’armée, de la police, dans le cadre du programme de réforme de la sécurité, mais aussi dans le cadre du programme d’éducation civique. 

Donc j’ai pu bâtir comme ça des relations aussi avec d’autres organisations internationales et même local au niveau de la ville de Kinshasa. Et après cela, je suis arrivé en Belgique donc comme spécialiste de programme. Je travaille à partir du siège de Bruxelles et dans mon travail quotidien, je renforce mes collègues à travers le monde. Donc je suis en relation avec des collègues dans près de trente pays dans le monde. 

R3. Pourquoi es tu parti du Congo ?

LK: Je suis parti du Congo juste pour répondre à l’appel du devoir c’est-à-dire pour poursuivre ma carrière. Donc après avoir travaillé pendant plusieurs années, presque douze ans au pays, en province et dans la capitale, j’ai eu l’opportunité de venir travailler dans L’équipe internationale à Bruxelles. J’ai pensé que c’était une bonne chose pour continuer ma carrière, mais aussi pour apprendre à appliquer ce que j’avais appris au Congo à d’autres qui vivent les théâtres de conflits dans le monde. Et cela m’a beaucoup fortifié. J’ai oublié de dire qu’actuellement je fais des études de masters en sciences politiques à l’Université catholique de Louvain Campus de Mons.

R4 : Qu’offre l’Europe que le Congo ne donne pas ? 

LK:L’Europe a la sécurité ! C’est toujours très impressionnant de savoir que quelqu’un de ma famille peut être dehors à deux heures du matin à une heure du matin, mais je ne m’inquiète pas outre mesure parce que je sais que la personne va arriver. 

L’autre chose, c’est la mobilité. J’ai dit que je fais des études dans le campus de Mons, à cinquante trois kilomètres de chez moi et je fais des études en horaires décalés c’est-à-dire que j’étudie après le travail. Mais j’ai la possibilité à dix sept heures d’aller aux cours par train et de finir le cours à vingt et une heure, de reprendre un autre train pour arriver à la maison. Quand j’essaye d’imaginer, au Congo s’il serait possible à quelqu’un de quitter Kinshasa et d’aller suivre un cours à cinquante trois kilomètres et de revenir encore passer la nuit à la maison, je pense que cela serait difficile. A l’Est c’est encore moins probable. Donc je trouve ça impressionnant.

Je suis impressionné, toujours en termes de mobilité, par la manière dont les Européens, à travers l’Union Européenne, sont arrivés à rendre possible et effective l’intégration régionale. C’est vraiment impressionnant de traverser un pays à l’autre, on n’a pas rencontré de barrières, de ne pas avoir quelqu’un qui demande d’imposer un visa dans le passeport. Parfois on ne se rend même pas compte en fait qu’on a quitté un pays. Moi je trouve ça très impressionnant. C’est parmi les choses que qu’offre l’Europe et que le Congo n’offre pas. 

R5. Que donne le Congo que la Belgique n’offre pas ?

LK : A titre individuel, c’est le sentiment d’appartenance sociale, d’intégration sociale, le sentiment d’être entouré. Je pense que la première épreuve dans la vie européenne en tout cas, pour moi, est le sentiment de solitude. Et encore que je ne vis pas seul mais je veux dire le sentiment que toutes les connexions sociales qu’on a, elle n’existent plus. Et en fait, ici, c’est un peu plus difficile à bâtir. C’est un monde un peu plus organisé autour de la quiétude personnelle. Une sorte d’enfermement individuel. C’est l’impression qu’on a, après, je peux me tromper. 

Je trouve aussi que le Congo offre la chaleur que la Belgique n’offre pas. Chez nous, quand on dit qu’on a froid, on se couvre avec quelque chose. Mais quand il fait froid en Belgique, il fait vraiment froid. Et je ne savais pas jusqu’à quel point cela pourrait affecter l’humeur. Comment cela pourrait affecter la joie de vivre. Mais trois mois en hiver, cela a vraiment un impact sur mon bien-être. Peu importe tous les mécanismes qui sont autour, je sens vraiment que ne pas voir le soleil, c’est grisant.

Je pense que le Congo a c’est qu’il y a de plus naturel. Le bio existe ici en terme alimentaire, mais c’est pas que alimentaire en fait. Moi je trouve qu’au Congo, il y a le contact avec la nature non transformée, qu’en Belgique, parce que, on va se rendre compte que même ce qui est présenté comme naturel a été beaucoup manipulé par l’homme. Et c’est dans tous les secteurs. 

J’ai vu des forêts presque artificielles, des rivières presque artificielles, des lacs presque artificiels. Ce n’est pas forcément un mal. Mais après, quand on visite les animaux par exemple, qui sont enfermés dans des Zoo, on peut les regarder et constater que ce n’est pas leur nature de rester dans cinq mètres carrés.

Lorsqu’on visite un élevage, on voit bien que voilà, les vaches sont enfermées quelque part pour qu’elles puissent produire du lait. Il y a autant de facteurs comme ça qui me semblait qu’on est arrivé ici à manipuler la nature, à la limiter des certaines mesures. Au Congo, on a plus de chance de rencontrer les espèces que soient les aliments ou les animaux, dans un environnement vraiment naturel où ça fonctionne comme ça devait être. 

R6. A quand remonte  ta décision d’écrire  « Ces vérités qui nous mentent » 

LK : Alors j’ai pris la décision d’écrire ‘Ces vérités qui nous mentent’ c’etait en 2012. Ça n’a jamais été une décision. J’ai commencé à écrire lorsque la ville de Goma est tombée entre les mains de la rébellion du m23. Et c’est étrange parce que c’est un fait d’actualité encore aujourd’hui en 2022. Les premières lignes je les avaient écrites en décembre 2012. En tant que Congolais, j’étais à Bukavu à l’époque, mais je faisais la navette entre Bukavu et Uvira, j’avais ressenti vraiment une montée des tensions.

R7. Pourquoi l’avoir écrit ?

LK : Je me suis mis à coucher les choses par écrit et mon message n’a jamais été destiné à quelqu’un d’extérieur. Je me suis décidé d’écrire pour envoyer un message à mes propres compatriotes pour dire que dans tous les cas, dans ce qui nous arrive, il y a des leçons à tirer, d’abord pour nous-mêmes. Donc j’ai voulu adresser un message aussi, avec l’idée que nous pouvons perdre les batailles du présent mais nous ne devons pas perdre la bataille du futur. Et si nous ne voulons pas perdre la bataille du futur, nous devons ouvrir les yeux maintenant, reconnaître nos faiblesses, regarder la petite routine inaperçue qui fait du Congo un géant aux pieds d’argile.

R8. Combien temps tu avais mis de l’écriture jusqu’à la publication ?

LK : Cela m’a pris quatre ans d’écriture. J’ai commencé en 2012, mais parce il n’y avait pas de projet d’écrire un livre, cela m’a pris du temps jusqu’à ce que certain.e.s ami.e.s ont commencé à me rappeler qu’ils avaient appris que j’écrivais. Pourquoi je n’ai pas le livre ? Donc c’est finalement en deux mille seize que j’ai décidé d’arrêter. 

Et après j’ai commencé l’aventure de l’édition. Dans le premier éditeur, Mary Bro Foundation, c’est un professeur de lettres Ivoirien, qui a accepté d’éditer le livre à compte d’auteur pour m’aider avancer avec ce projet. Avec lui, j’ai édité. De la première édition et j’ai pu produire 400 exemplaires qui ont été distribués dans le monde. Et j’ai eu la chance que tous ces tous ces exemplaires ont été achetés. Ce qui m’a permis de revenir un peu dans mes frais. 

Le livre a reçu à Kinshasa, le prix du meilleur livre de l’année 2018 au prix Makomi, qui est le prix européen de littérature congolaise. C’est un collectif de centres culturels européens, le Centre Wallonie Bruxelles, Institut français de Kinshasa et  d’autres qui se mettent ensemble et qui proposent un prix pour promouvoir la littérature congolaise. Donc j’ai eu la chance que le jury avait accordé le prix à mon livre. 

R9. Pourquoi se faire ré-éditer chez Mlimani Editions ? 

LK : La maison d’édition actuelle, c’est une très belle aventure parce que la maison d’édition actuelle, Mlimani Editions, est une nouvelle maison d’édition qui vient d’être créé à Goma par des compatriotes, des jeunes Congolais qui ont décidé de lancer un programme de rééditions des livres qui parlent aux Congolais des livres. Ils sont partis du constat que beaucoup d’auteurs congolais comme africains, se font éditer à l’étranger. Après les livres doivent être imprimés aux conditions de l’Europe au prix de l’Europe est transportés par avion jusque chez nous. Ils arrivent trop cher et cela ne permet pas que des jeunes puissent se payer un livre. Donc ils ont proposé plutôt: on essaie d’éditer localement et de prendre en charge tous les circuits d’édition localement pour que le livre arrive à prix réduit au le lecteur. 

Par comparaison, à la première édition, je vendais chaque exemplaire de mon livre, Ces vérités qui nous mentent, à vingt dollars. Aujourd’hui, nous sommes capables de vendre exemplaires à 5 $ pour le format papier blanc et 7.5 $ pour le format papier jaune. C’est juste la qualité du papier qui change un peu, mais les deux versions sont très bonnes. 

R10.  As-tu un projet d’écriture en cours ?

LK : J’aime toujours dire que je n’écris pas pour apporter des réponses, j’écris pour soulever des débats. J’écris pour poser des questions et donc chaque fois que j’écris, c’est parce que j’observe des choses dans ma communauté, dans mon pays, autour de moi qui me donne envie d’interpeller, qui me donne envie de susciter. Le débat est donc l’essentiel dans ce que j’écris. 

J’écris un deuxième livre maintenant et j’ai un projet pour un troisième. C’est vraiment pour être toujours au cœur de l’actualité, au cœur du vécu et de soulever des questions qui donneront envie aux gens de discuter, parce que j’ai grand espoir que c’est à travers des discussions constructives que nous pouvons trouver des réponses sur le long terme.